mercredi 23 janvier 2013




La Femme Cananéenne en Matthieu 15.16 à 28:
("Donner le pain aux petits chiens ?")
COMMENT LA FOI TRIOMPHE  DU MEPRIS

Et Jésus dit: Vous aussi, êtes-vous encore sans intelligence?
  • Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, puis est jeté dans les lieux secrets?
  • Mais ce qui sort de la bouche vient du coeur, et c'est ce qui souille l'homme.
  • Car c'est du coeur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages, les calomnies.
  • Voilà les choses qui souillent l'homme; mais manger sans s'être lavé les mains, cela ne souille point l'homme.
  • Jésus, étant parti de là, se retira dans le territoire de Tyr et de Sidon.
  • Et voici, une femme cananéenne, qui venait de ces contrées, lui cria: Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David! Ma fille est cruellement tourmentée par le démon.
  • Il ne lui répondit pas un mot, et ses disciples s'approchèrent, et lui dirent avec insistance: Renvoie-la, car elle crie derrière nous.
  • Il répondit: Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël.
  • Mais elle vint se prosterner devant lui, disant: Seigneur, secours-moi!
  • Il répondit: Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le jeter aux petits chiens.
  • Oui, Seigneur, dit-elle, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.
  • Alors Jésus lui dit: Femme, ta foi est grande; qu'il te soit fait comme tu veux. Et, à l'heure même, sa fille fut guérie.”
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Ce récit d'aujourd'hui n'est pas un récit où Jésus s'ouvre aux étrangers pour la première fois. Il ne se convertit pas, contrairement à bon nombre de commentateurs prétendant que Jésus a besoin de cette femme pour changer de cap ! Jésus vient en pleine autorité révéler l'être humain à lui-même. Ici en l'occurence, ses disciples, en proie au mépris.Il va prononcer en miroir des paroles entendues, pour faire prendre conscience de la toxicité des mots.

En Matthieu 8 bien avant cette guérison, Jésus guérit déjà un étranger.
Un officier romain demande de l'aide pour son serviteur:
-“Je ne suis pas digne que tu entres chez moi”.
-“Je n'ai trouvé personne avec une si grande foi”, lui répond Jésus. “'Il en viendra de l'orient et de l'occident pour le repas avec Abraham”.

Jésus ne va pas découvrir grâce à une femme cananéenne sa propre vocation. Il apporte aux non-juifs toute sa sollicitude. Si l'on en croit Matthieu, et la mise en scène de son Evangile, Jésus vient juste avant d'annoncer  l'ouverture de l'alliance aux nations .

Par contre ce récit se trouve juste après le commentaire de Jésus sur ce qui rend pur et impur. Ce qui rend impur, c'est ce qui sort de la bouche en tant que sortant du coeur.
Etonnamment, ce texte montre Jésus injuriant une femme. L'un des passages les plus énigmatiques en apparence. Mais à y bien regarder, c'est aux disciples qu'il parle, comme il avait souverainement projeté de faire lors de son déplacement en Syro-Phénicie.
Reprenons le texte:
 21 Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon.

L'histoire de ce matin concerne un territoire perdu à l'Ouest de la Judée; ses navires sillon­naient les mers, et Tyr et Sidon, ses villes, étaient connues dans le monde entier.
Le monothéisme y était pratiquement inconnu, les idoles célébrées.

On connaissait le nom de Jésus comme guérisseur.

C'est dans ce pays que Jésus a décidé d'emmener ses disciples en séminaire d'enseignement, au calme, loin du lac de Galilée.

Jésus cherche la discrétion mais il ne peut rester caché. Il veut du calme mais va croiser une femme bruyante.
Au verset 21, Matthieu fait  le rapprochement avec Elie (sinon Elisée) qui, en territoire de Sidon (1 Rois 17/8-9 & 17-24) avait guéri en territoire païen.
Les Juifs considèrent les habitants de Tyr et Sidon comme des impurs, des sous-hommes.

22 Voici qu'une Cananéenne vint de là, et se mit à crier : « Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par un démon ». Une femme en larmes vient à lui et se jette à ses pieds.
Une femme qui crie violemment. Elle possède une lucidité au sujet de Jésus.

Elle n'est pas juive, ne connait pas le Dieu des Juifs.
Matthieu donne à cette femme ce nom de « Cananéenne». Non seulement une étrangère, mais en plus une « Cananéenne », ce qui veut dire « polythéiste déviante».
Pas mal de mépris dans la description de cette femme.
(voir Ezéchiel 16/29).
Elle souhaite l'aide de Jésus comme guérisseur pour sa fille.
A cette époque, toutes les maladies étaient considérées sous l'angle de la possession.
Il y a un mauvais esprit chez sa fille la femme demande à Jésus de chasser l'esprit.
La femme dit littéralement: « Ma fille est méchamment démonisée ».

Elle ne vient pas invoquer le Dieu d'Israël mais consulter un thaumaturge.
Comme dans les campagnes on demande à un celui qui a un « fluide » de « faire passer les verrues » dans l'arrière-boutique du coiffeur.
Elle crie, résolue à déranger jusqu'à obtenir gain de cause.
L’attitude de cette femme évolue au cours du récit. Elle arrête de crier pour passer à l'argumentation la plus géniale qui soit dans la Bible.
Elle n'est plus en face d'un guérisseur mais du fils de David, un prophète d'Israël à qui elle va répondre d'une façon cinglante dans une foi en marche.

23 Mais il ne lui répondit pas un mot.

Comment interpréter ce silence?
Devant une femme qui crie, Jésus oppose un silence. Jésus est dans la demande de cette femme étrangère qui veut une guérison sur une impureté.
Elle est dans une problématique de culpabilité.
Jésus fait silence pour la cerner, pour comprendre sa demande.
Jésus est gêné par la présence de cette patiente qui le dérange.
Dans l'épisode de la lapidation de la femme adultère, Jésus est silencieux également.
Il dessine dans le sable. Nul ne sait ce qu'il a écrit.
A ce moment, nul ne sait ce qu'il pense d'elle mais lui ne répond rien à sa demande pressante.
Les protestants sont gênés par le silence.
Plusieurs sont agacés par le silence de Jésus, jusque dans nos réunions protestantes où parfois devant une question, le silence de la réflexion peut apparaître comme un retrait. Heureusement Jésus est de ceux qui réfléchissent avant de trop parler. C'est si rare.
Jésus est-il en mal de conviction devant l'attitude à adopter devant cette étangère, puisqu'il n'a pas la réponse tant attendue? C'est l'interprétation moderniste courante, qui fait de Jésus un Messie tâtonnant à la recherche de son appel, trop humain pour être souverainement capable de connaître les coeurs.
Ceux qui trouvent suspect son silence se trahissent par leur manque de capacité au silence pour eux-mêmes.
Jésus a besoin de réfléchir, même s'il est fils de Dieu sans péché.
Son humanité se révèle pleinement par une écoute intense.
Et son silence est une leçon sur son autorité insaisissable.
Cette femme qui l'appelle Fils de David semble tellement lucide: elle va apprendre quelque chose aux disciples; Jésus teste cette femme pour révéler sa parole comme oeuvre du Saint-Esprit. L'attitude de Jésus est un modèle d'ouverture et d'absence de jugement. Cette femme qui implore et qui dérange pour cause officielle de “possession démoniaque” lui semble divinement inspirée.

Ses disciples s'approchant de lui firent cette démarche : « Renvoie-la, car elle nous crie après”.

Littéralement: . 23 : c'est en grec: "Débarrasse-nous en"
Renvoie-là: le verbe employé est tiré du mot “apôtre”: envoyé.
Ceux qui sont envoyés (apôtres= envoyé) ont la tentation de renvoyer. Terrible humour de Matthieu.
Matthieu ne ménage pas les disciples qui veulent balancer cette femme au loin en évacuant son problème par une éviction ou au mieux par une “guérison-minute”.
Quand Jésus parle à cette femme en disant qu'il est envoyé pour le peuple d'Israël, il parle en réalité à ses disciples. Cela fait penser à "la femme du boulanger" de Pagnol: le boulanger s'adresse à son chat pour parler en réalité à sa femme.
Ici Jésus s'adresse à cette étrangère pour parler à ses disciples, pour leur faire prendre conscience de l'image qu'il donnent d'eux-mêmes.
Jésus veut amener ses disciples quelque part.
Ses disciples sont agacés q'une étrangère ait un comportement dérangeant; ils veulent la renvoyer. Ils n'osent pas gérer cette femme. Ils se réfugient derrière Jésus: ils n'assument pas la responsabilité de la renvoyer, ils n'assument pas leur rôle de disciples-témoins.
Un peu comme des gens qui sont pour la peine de mort mais qui seraient incapables d'appuyer sur la gâchette.
Que pensez-vous du comportement des disciples ?

24 Jésus répondit : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ».
Jésus se répète à lui-même l'urgence de sa mission prophétique.
Il est venu pour Israël. En priorité, pour rassembler son peuple.
Les autres n'ont pas accès à cette espérance. Il parle à ses disciples pour les réprimander.
Il est venu pour les brebis d'Israël qui sont des moutons perdus.
Sous-entendu je suis avec vous parce que vous aussi vous êtes perdus dans vos exclusives.
25 Mais la femme vint se prosterner devant lui : « Seigneur, dit-elle, viens à notre secours ! ».
Elle qui demande du secour s'adresse soudain à un Seigneur.
En se prosternant, elle manifeste une forme d'adoration inattendue de la part d'une étrangère. Elle passe du harcèlement à la déférence. De la panique à la foi.

26 Il répondit : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiots ».

Pour Matthieu, Jésus fait des jeux de mots cinglants:
un premier jeu de mots significatif en grec, entre « prendre » et
« balancer » : « labein » et « balein », l'inversion des consonnes correspond à l'inversion du sens ; voir aussi l'autre jeu de mots signalé par France Quéré entre « maître » et « chiots »« kyrios » et « kynarion ». Ces jeux de mots sont des moyens mnémotechnique pour la catéchèse primitive.
Le compte-rendu de Matthieu est génial, il s'incruste dans la mémoire par la musique des mots.
Si les disciples issus d'Israël veulent renvoyer cette femme, alors Jésus est en effet là pour ces brebis d'Israël qui se perdent par leurs paroles malveillantes. “Je suis venu pour les brebis perdues de la maison d'Israël.”


Par cette histoire, Jésus fait sortir ce qui est au fond du coeur des disciples.

En même temps, Jésus pousse cette femme dans ses retranchements par cette injure, ( en la comparant à un petit chien en sa présence), pour tester sa foi.
Il reprend le vocabulaire populiste des disciples envers cette femme.
Jésus fait sortir ce qui est dans la pensée des disciples.
Ils veulent chasser une femme qui est en pourtant en attente de l'essentiel.
Ils la traitent comme un petit chien. 
Par cette formulation du fond du coeur des disciples, il pousse cette femme à dévoiler sa foi; elle ne se laissera pas désarçonner.

Les disciples n'ont pas compris que ce n'est pas sur des rites de pureté ou d'impureté, sur des habitudes de pratique religieuse, sur des origines de clan, sur des rituels "splendides", que l'on est accepté par Dieu.
Ce qui importe, ce sont les pensées cachées au fond du coeur des disciples, la vérité des motivations cachées.
Après le silence de Jésus qui lui permet de sonder les coeurs de chacun, la vérité jaillit soudain : une femme contraint Jésus d' utiliser la situation pour enseigner ses disciples, comme il avait prévu de le faire en les emmenant au calme.
Les disciples sont tenus de recevoir le message: Les temps nouveaux sont arrivés, ou pour le moins anticipés ; la foi au fils de David n'est plus une exclusivité juive. Cette femme (ou le Saint-Esprit par cette femme) a aidé le Christ à saisir comment le plan de Dieu (la « justice de Dieu » dira Paul dans l'épître aux Romains) allait se dérouler, et que les « grandes fois » (Matthieu 15/28) et les “belles prières” n'allaient peut-être pas se trouver là où on les attendait.
Cette femme cananéenne attendait la guérison de sa fille, elle la demandait à Jésus. Nos contemporains demandent plus qu'une guérison physique. Ils attendent une guérison de toute leur personne.

Le même problème se pose à nous, comme il se posait à Jésus. Serons-nous ouverts aux autres ou bien fermés ? Saurons-nous répondre à leur attente et leur ouvrir nos portes, pour qu'eux aussi découvrent la vérité de leur vie et qu'ils puissent croire en ce Dieu qui les aime ?
Laisserons-nous l'apparence d'ordre tuer la spontanéité d'un accueil ?
Dans quel sens allons-nous répondre à la question que nous pose Jésus, à savoir l'urgence de l'accueil du tout-venant dans nos Eglises, lieux de refuge pour ceux qui cherchent place, écoute, accompagnement, changement de vie ? Devant Jésus, personne n'est impur par ses origines. La véritable intelligence pour Jésus, c'est l' intelligence de la foi, qui passe par un coeur purifié.
Certains sont impurs par leurs pensées profondes, mais l'antidote à cela c'est la foi. Cette femme a vu en Jésus celui qui seul peut fonder puis transformer sa vie. 
Sa foi me confond et me bouleverse.

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